Black power
Dans les années 1990, l’unique visage noir des défilés était ce que les Américains appellent le token (une preuve de bonne foi), la minorité de service, présente uniquement pour ne pas se faire accuser de manque de diversité. “Une noire et une rousse. Une, pas deux. Voilà ce que demandaient les directeurs de casting pendant des décennies”, raconte Bianca O’Brien, mannequin qui s’est battu pour des défilés plus métissés. “Les mannequins noirs se retrouvaient donc face à des opportunités extrêmement limitées, toujours à se disputer les quelques rares places, et systématiquement invités à incarner les mêmes stéréotypes”, ajoute-t-elle. Si les visages blancs dominent encore les castings à près de 80 %, une légère évolution semble se mettre en place, du moins dans les fantasmes et la pop culture.
Jaden Smith, fils de Will Smith et Jada Pinkett, apparaît dans une campagne femme de Louis Vuitton en jupe, qu’il porte avec le chic d’un kilt et l’aise d’un jogging. Pour lui, l’homme actuel doit penser hors des catégories de genres et sociales installées. Sa sœur, Willow Smith, emprunte un style à la fois grunge et new age, une individualité qui lui vaut de devenir une égérie Chanel. Il était temps. À l’heure du mouvement Black Lives Matter, on peut y lire le début d’une prise de conscience mondiale au sujet de l’absence quasi intégrale de voix noires. Alors que l’appropriation culturelle – un terme qui buzze, mais qui désigne une pratique ancienne – ne cesse d’exciter la mode, tantôt avec des éditos type “Reine d’Afrique”, tantôt à coups de perruques à dreadlocks sur la tête de mannequins blancs, rien ne bouge dans la société. Les meurtres récents de Michael Brown, Trayvon Martin, Eric Garner ou Oscar Grant par des policiers aux États-Unis prouvent qu’aucun pont n’est construit entre bourgeoisie et minorités, si ce n’est un fantasme sur les podiums. Une visibilité des personnes et des cultures concernées – et non simplement citées – pourrait enfin permettre à la mode de devenir un réel espace d’inclusion et de diversité, plutôt qu’une sphère créée par et pour un microcosme occidental.
Bien qu’il y ait encore du chemin à faire pour normaliser la figure noire, ce photo-shoot par la jeune photographe britannique Ronan Mackenzie nous donne une bonne impression de l’effervescence et de la diversité des nouveaux idéaux de beauté qui fleurissent en ce moment, sur le web en particulier, permettant à de jeunes talents avec une attitude body positive de tirer leur épingle de jeu.