Imprévisible mais irrésistible, Gia Carangi, supermodel avant l’heure, a eu une carrière éclair de trois ans, presque surnaturelle. Aujourd’hui, sa beauté vénéneuse continue de faire bruisser internet et ses héritières sont légion…

Si vous tapez son nom sur Google, vous obtiendrez plus de 400 000 r&eacute;sultats, sans compter 14 000 publications sur Instagram, 7 000 sur YouTube ou les dizaines de fanpages sur Facebook. Pourtant, Gia Carangi, le premier supermodel, a connu une gloire aussi sid&eacute;rante qu&rsquo;&eacute;ph&eacute;m&egrave;re entre 1978 et 1981, fig&eacute;e &agrave; jamais &ndash; sans paroles &ndash; sur papier glac&eacute;. Elle est morte en 1986 au moment o&ugrave; internet commence &agrave; &eacute;merger.&nbsp;Too beautiful to die, too wild to live&nbsp;(trop belle pour mourir, trop sauvage pour vivre), comme le dit le slogan du t&eacute;l&eacute; film HBO&nbsp;Gia&nbsp;r&eacute;alis&eacute; par Michael Cristofer en 1998 et inspir&eacute; par sa vie (la biographie lance une jeune actrice qui remporte un Golden Globe pour le r&ocirc;le : Angelina Jolie). Comme celle de James Dean au cin&eacute;ma, la trajectoire de Gia dans la mode, coup&eacute;e net par la drogue, n&rsquo;en finit pas de fasciner un public &eacute;pris de pop culture vintage. Il y a quelque chose de puissamment moderne dans son temp&eacute;rament, comme dans celui de James Dean: une androgynie, un c&ocirc;t&eacute; sauvage, urbain, unisexe et gar&ccedil;on manqu&eacute; pour celle qui emprunte sa panoplie T-shirt/jean/Converse au vestiaire masculin avant tout le monde. Elle exsude le danger, l&rsquo;interdit, et pour cause. Avec un culot dingue, Gia n&rsquo;h&eacute;site pas &agrave; envoyer sur les roses les photographes c&eacute;l&egrave;bres, ou au contraire &agrave; poser nue spontan&eacute;ment quand elle se sent &agrave; l&rsquo;aise. Ses coups de gueule, ses exc&egrave;s d&rsquo;enthousiasme ou de col&egrave;re la rendent imm&eacute;diatement l&eacute;gendaire dans l&rsquo;univers compass&eacute; de la couture qui d&eacute;ambule entre Milan, Paris et New York. Il faut dire que respecter l&rsquo;autorit&eacute; n&rsquo;a jamais &eacute;t&eacute; son fort.

N&eacute;e en 1960 dans une banlieue ais&eacute;e de Philadelphie, Gia grandit un peu sans filet entre un p&egrave;re absent et une m&egrave;re qui a d&eacute;sert&eacute; le foyer familial. Pas vraiment surveill&eacute;e, elle ne conna&icirc;t pas de limites impos&eacute;es, entre les concerts de David Bowie, l&rsquo;&eacute;cole buissonni&egrave;re, ses coups de c&oelig;ur incessants pour les jolies filles et les f&ecirc;tes sous Quaalude. Sur le conseil d&rsquo;un photographe local, elle d&eacute;barque &agrave; New York &agrave; 18 ans directement devant le bureau de Wilhelmina Cooper, qui tient une fameuse agence de mannequins: elle signe &agrave; cette jolie punk, un peu butch, un peu pin-up, un contrat dans l&rsquo;heure. &Agrave; contre-courant des autres filles tr&egrave;s blondes, tr&egrave;s saines comme Patti Hensen ou Jerry Hall, Gia la provocante poss&egrave;de un exotisme certain et incarne toute une population de brunes mal repr&eacute;sent&eacute;es par la mode. En 1979, elle travaille dur, aligne les covers plus vite que son ombre, et pose pour le gratin des photographes de mode : Chris von Wangenheim, Richard Avedon, Helmut Newton, Arthur Elgort ou encore Francesco Scavullo.

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L&rsquo;illustrateur Joe Eula la fait aussi poser pour ses dessins de mode ; il se souvient dans le livre&nbsp;Thing of Beauty : the Tragedy of Supermodel Gia&nbsp;de Stephen Fried d&rsquo;un mod&egrave;le extra- ordinaire : &ldquo;Elle &eacute;tait une vraie actrice, vraiment une star en face de moi, portant des fringues de merde de 5 ou 10 dollars et vous donnant l&rsquo;impression que c&rsquo;&eacute;tait les plus beaux v&ecirc;tements depuis que la couture avait &eacute;t&eacute; invent&eacute;e.&rdquo; Le photographe Scavullo l&rsquo;adore m&ecirc;me s&rsquo;il lui est impossible de la diriger : &ldquo;Vous aviez ces photos prises sur le vif et elles &eacute;taient divines&hellip; Elle avait le corps parfait pour poser : des yeux, bouche, cheveux parfaits et pour moi l&rsquo;attitude parfaite, &lsquo;je me fous de tout&rsquo;.&rdquo; Il l&rsquo;appelle en 1980 pour qu&rsquo;elle pr&ecirc;te son jean d&eacute;chir&eacute; juste ce qu&rsquo;il faut &agrave; Diana Ross, pour la pochette de son album mythique Diana. Sur la photo, on voit la star du disco emprunter non seulement le jean mais aussi la d&eacute;gaine de Gia : cheveux mouill&eacute;s, sans make-up, braguette ouverte et T-shirt blanc roul&eacute; aux manches. Son fameux bouton-de-pantalon-ouvert est aussi imm&eacute;diatement copi&eacute; par les stylistes de Vogue. &Agrave; force de naturel et de nonchalance, cette fan de Blondie lance le street chic.

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Souvent incontr&ocirc;lable dans sa vie professionnelle &ndash; elle plante des clients, mange des cuisses de poulet en robe Yves Saint Laurent couture ou s&rsquo;enfuit par la fen&ecirc;tre des toilettes au milieu d&rsquo;un shooting Versace avec Avedon &ndash; Gia n&rsquo;arrive pas plus &agrave; g&eacute;rer sa vie sentimentale. Elle tombe follement amoureuse de nouvelles filles chaque semaine et s&rsquo;accroche &agrave; des h&eacute;t&eacute;ros qu&rsquo;elle essaie de s&eacute;duire en leur envoyant des brass&eacute;es de roses comme la belle maquilleuse Sandy Linter avec qui elle vit une liaison houleuse entre deux sorties au Studio 54. Comme l&rsquo;exprime si bien l&rsquo;&eacute;crivain Stig Dagerman parlant de la condition humaine, &ldquo;notre besoin de consolation est impossible &agrave; rassasier&rdquo;. Et Gia parvient mal &agrave; masquer sa col&egrave;re, cette folle ins&eacute;curit&eacute; cr&eacute;&eacute;e par l&rsquo;abandon de sa m&egrave;re, ou &agrave; se d&eacute;barrasser de l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;elle ne m&eacute;rite pas tout ce qui lui arrive, ni l&rsquo;argent, ni le luxe, ni les compliments. Un syndrome carabin&eacute; d&rsquo;imposture mine cette fille qui n&rsquo;a pas fait d&rsquo;&eacute;tudes mais r&ecirc;ve de devenir chef op&eacute;ratrice de cin&eacute;ma. Apr&egrave;s un houleux shooting &agrave; St Barth en 1980, la mort subite de Willhemina, son mod&egrave;le, sa m&egrave;re de substitution, la fait d&eacute;raper : Gia se laisse glisser dans des paradis artificiels de plus en plus destructeurs, s&rsquo;injectant l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne fournie par des dealers de luxe puis dans d&rsquo;insalubres galeries de shoots du Lower East Side. C&rsquo;est la d&eacute;gringolade et personne ne s&rsquo;en soucie jusqu&rsquo;au moment o&ugrave; des trous pas tr&egrave;s photog&eacute;niques apparaissent sur ses bras, ou sa beaut&eacute; se fane et o&ugrave; ses retards deviennent des absences. C&rsquo;est le moment o&ugrave;, dans une de ses rares apparitions &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision, elle murmure le regard perdu apr&egrave;s plus de deux heures de coiffure-maquillage : &ldquo;Et nous voil&agrave; au pays des faux-semblants, pas vrai ? Du fantasme.&rdquo; En 1981, elle dispara&icirc;t des radars. Ruin&eacute;e et au bout du rouleau, elle est retourn&eacute;e en douce chez sa m&egrave;re et gal&egrave;re entre d&eacute;sintox et petits boulots. Une rechute en 85 tourne mal: elle attrape la maladie qui vient de tuer Rock Hudson et commence &agrave; d&eacute;cimer le monde de la mode. Gia d&eacute;c&egrave;de en 1986, premi&egrave;re femme connue victime du sida. Cette ann&eacute;e-l&agrave; est marqu&eacute;e par la catastrophe de Tchernobyl, c&rsquo;est aussi l&rsquo;ann&eacute;e de naissance de Lady Gaga et de Robert Pattinson. Toujours en 1986, une brune qui lui ressemble beaucoup, avec une beaut&eacute; plus mainstream et moins subversive, signe avec l&rsquo;agence Elite &agrave; New York : Cindy Crawford sera longtemps surnomm&eacute;e &ldquo;Baby Gia&rdquo; par les gens de la mode. Reste de Gia, d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; les images glamour de Chris van Wangenheim et consort, sublimes de sophistication qui circulent en boucle sur Tumblr, et de l&rsquo;autre&nbsp;Thing of Beauty : the Tragedy of Supermodel Gia, la biographie, plus &acirc;pre que le t&eacute;l&eacute; film mais non moins extraordinaire, &eacute;crite par le journaliste Stephen Fried en 1993 qui retrace sa vie autant qu&rsquo;une &eacute;poque et un milieu. Aujourd&rsquo;hui, ses h&eacute;riti&egrave;res boyish, spontan&eacute;es et subversives se nomment Cara Delevingne et Kristen Stewart, des wild girls port&eacute;es aux nues, mais bien mieux arm&eacute;es qu&rsquo;elle pour ne pas tomber dans le pi&egrave;ge du miroir aux alouettes.

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