Comment porter sa rivière de diamants sur un yacht ?
Chacune des pièces imaginées et ciselées par les ateliers haute joaillerie de la maison Chanel réfracte non seulement les rencontres qui façonnèrent le destin de Coco mais aussi les lieux qui exaltèrent son imaginaire. Ces lieux sont bien connus. Notamment les lieux de villégiatures : Venise, Deauville, la côte Basque. Ils ont contribué à l’élaboration du style Chanel, ils lui ont donné une tonalité singulière, tout en contraste, à mi-chemin entre la rigueur granitique des diocèses corréziens, et la simplicité libre des étendues marines. Moins connu que les lieux précédents, le Flying Cloud fut un fécond et joyeux cadre de vie au sein duquel s’égrenèrent les heures les plus heureuses de la créatrice. Le Flying Cloud, c’était un quatre-mâts à la coque noire et au pont de bois blanc. Ce yacht
appartenait à Hugh Grosvenor, second duc de Westminster, personnalité éminente de l’aristocratie anglaise. Sa famille remontait, disait-on, à Guillaume le Conquérant. Coco et le duc s’étaient rencontrés lors d’une soirée organisée à Monte-Carlo. Ils furent amants durant dix ans. “Bendor” (c’était le surnom du duc) était extravagant dans ses démonstrations d’af- fection. On raconte qu’il offrit à Gabrielle une caisse de légumes au cœur de laquelle étincelait une énorme émeraude dissimulée entre les carottes et les navets. Ce qui est certain, c’est que le généreux duc fit l’acquisition pour sa ténébreuse amante d’un parc immense situé à Roquebrune-Cap-Martin. Sur ce parc s’éleva plus tard la célèbre villa Pausa. Quant au yacht, il incarnait la quintessence des moments solaires de Gabrielle Chanel.
On comprend ce qui a attiré ici les ateliers de haute joaillerie de la maison: les formes parfaites aux fonctions éprou- vées, le graphisme volubile du vestiaire marin, les éclats de soleil sur les cuivres polis. Avec la nouvelle collection dédiée au Flying Cloud, ils ont interprété cette iconographie balnéaire avec une allégresse d’autant plus plaisante qu’elle recèle de trésors de savoir-faire dissimulés avec tact. Une maestria confondante attestée par la rotondité espiègle de bouées en or blanc, lapis-lazuli et perles de culture ; par la symbolique enjouée d’ancres d’amarrage en or blanc constellé de perles et de saphirs ; ici et là, des bandes alternées de saphirs au bleu intense, des boutons gourmands d’or jaune ou blanc, des cordages noués d’or et sertis de diamants rappellent le vestiaire d’été, la vareuse des marins, le galon des uniformes. C’est chic, joyeux, moderne : un travail d’orfèvrerie d’autant plus virtuose qu’il laisse de côté les effets de manches ostentatoires et statutaires pour se concentrer sur la légèreté, la plénitude et la lumière.